Rostropovitch à Berlin

Le 9 novembre 1989, le porte-parole du bureau politique du Parti communiste annonce à la télévision est-allemande : " les frontières sont ouvertes avec effet immédiat" : le passage du mur de Berlin devient possible dans les deux sens. Aussitôt, les Berlinois de l'Est affluent aux points de contrôle, notamment au célèbre Checkpoint Charlie ; les gardes-frontières les laissent passer. La joie éclate.

Le violoncelliste d'origine soviétique, Mstislav Rostropovitch, s'installe au pied du mur, à l'Ouest, pour jouer spontanément des extraits d'une suite de Bach. Dissident contraint à l'exil politique en 1974 pour avoir hébergé chez lui l'écrivain Soljenitsyne, puis déchu de sa nationalité soviétique, Rostropovitch est certainement particulièrement touché par la signification de l'événement. En quelques heures, des milliers d'Allemands de l'Est se précipitent pour voir la "vitrine du capitalisme" tandis que des Occidentaux passent à l'est pour découvrir la "patrie du socialisme".

L'événement est considérable ; il marque la fin de la division de l'Allemagne, qui durait depuis 1945 ; il signifie également l'effondrement sans guerre du bloc communiste, contraint à l'ouverture de ses frontières.

Rostropovitch est venu jouer spontanément, il est venu mêler le son de son violoncelle à celui des masses fracassant le mur de Berlin. La révolte créatrice d'un peuple et la création artistique fusionnent en une même pulsion libératrice. Libération du tout état, du mur, de la loi qui sépare, nivelle, au lieu d'unir. Faire tomber les murs, repartir de la base solidaire, fraternelle, de la dignité du peuple.

Peut-on fonder une politique à partir des personnages conceptuels de Hyde et Zorba dont nous parlions dans les textes précédents, à partir de ce que l'on a défini comme étant la face pulsionnelle et spontanée de l'être de l'homme?

Si la violence est structurelle et ne relève pas d'une pseudo nature humaine considérée mauvaise ou d'un mal essentialisé alors il est possible de penser une politique agissante, précisément, sur cette structure.

Si une société, ses lois, ses institutions, dans leur face négative, sont productrices de violence et de crime, il est légitime de penser qu'il est possible de modifier ses moyens de production. Il est alors absurde d'essentialiser tel ou tel phénomène social qu'il s'agisse du servage, de la monarchie absolue, des lois du marché et de leur pseudo autorégulation comme soumises à une "main invisible" (Adam Smith).

Un autre monde est possible, il est même certain.

Ce qui fait la violence du phénomène néocapitaliste, capitalisme mondialisé, c'est évidemment la marchandisation du vivant. Ce dernier dans son ensemble, n'est pas considéré, pour reprendre le vocabulaire kantien (dédicace à Cyrille), comme fin mais comme moyen.

Ce qui constitue la dignité humaine c'est le fait pour un individu d'être considéré comme une fin (celui en vue de quoi une action est réalisée) et non comme un moyen, un outil pour parvenir à ses propres fins, un moyen de production de richesses, outil de satisfaction de son désir, de son propre monde. Avidité, cupidité, vol, viol, crimes.

Finalement le crime qui était supposé ontologiquement inhérent au personnage de Hyde n'est peut-être que la résultante de celui, policé et poli, du Dr Jekyll. Le crime donc comme perversion du rapport à l'autre, une perversion qui est issue de la marchandisation du Désir. L'objet n'est plus désiré pour lui-même mais pour le standing social auquel il élève. Ce qui est désiré c'est le désir lui-même, le désir des autres dont on fait une marchandise, une fin en soi. On assiste ainsi à un retournement, en ceci que la dignité n'est plus placée en l'autre mais en l'objet.

Même si cela reste très (trop?) général comme politique, essayer à chaque fois que cela est possible de favoriser le rapport à l'autre plutôt qu'à la loi d'état et favoriser ce rapport à l'autre comme fin et non comme moyen.

La spontanéité pulsionnelle de chaque individu entraine la dissolution de l'ego dans le dionysiaque, le démembrement de soi, recueil dans l'Un originaire dont nous régale Nietzsche, le sans image, hors représentation de l'émotion esthétique musicale par exemple. Dissolution du moi et de ses intérêts particuliers, oubli de soi dans cette extase, ce ravissement au sens strict.

La spontanéité pulsionnelle est présente en nous mais étouffée par les rapports pervertis par la marchandisation de l'autre et du désir. Il s'agit de la retrouver sous la couche sédimentée des institutions et des lois, sous l'habitude. On la connait tous, vécue lors d'élans collectifs, danses, manifs (férocité de la danse), "esprit du 11 janvier" par exemple.

Favoriser l'intersubjectivité qui crée ses lois propres sur une base horizontale et égalitaire contrairement à la hiérarchie et à la verticalité de l'état. On peut trouver des applications très concrètes, prendre des décisions dans cette optique et finalement se positionner politiquement. Par exemple on préférera la proximité d'association et d'éducateurs à l'interventionnisme de la police. Il s'agit de créer du réseau, de la coopération, manifs, rencontres et discussions pour fabriquer du capital social, replacer la dignité dans l'individu lui-même, pour ce qu'il est, ce qu'il donne de lui, plutôt que dans ce qu'il a et ce qu'il garde pour lui.

Ecrivez sur Diaspora!

Ajouter un commentaire
 

Créer un site internet avec e-monsite - Signaler un contenu illicite sur ce site