Des poires

 

Un attentat vient d'être déjoué. Les suspects voulaient, en plus de faire exploser un site militaire, filmer la décapitation d'un officier haut-gradé. Les terroristes cherchent actuellement à importer le mode opératoire de DAECH sur le sol français et pourquoi pas à l'international. La démarche est, à la lettre, spectaculaire (voir par exemple la mise en scène pour abattre des soldats irakiens dans le théâtre antique de Palmyre, les images de guerre sur la Toile, etc...). Il s'agit de mettre en scène la mort de l'autre, de l'ennemi supposé, de son image. Or, par analogie, nous sommes tous cette image. Imposer au reste des hommes le spectacle de la mort en images cinématographiques constitue l'essentiel du geste terroriste. Comme dans les films hollywoodiens, la surenchère est partout de mise sauf qu'ici, comme dirait Balzac, "All is true!".

Les Djihadistes sont au fond le dernier avatar de La Société du Spectacle théorisée par Guy Debord, ouvrage sur lequel nous reviendrons plus loin. Tout en eux n'est qu'image. Les causes alléguées de leurs actes (les caricatures, l'idolâtrie en général, l'attachement au monde profane finalement), ce au nom de quoi ils commettent ces actes (Dieu, dans la perspective athée qui est la mienne en ce cas), les moyens employés (images chocs, télévisées, webisées...).

Je crois que ces types se prennent pour des acteurs. Il s'agit pour eux d'être vus, de 'briller'. C'est là leur paradoxe et leur dualité, leur schizophrénie même, car ils sont à la fois adorateurs et destructeurs d'images, idolâtres et iconoclastes. Ils n'ont pas réglé le problème de l'image, de son ambigüité, de l'étendue de ce qu'elle contient. Une image peut contenir le monde et aspire même à représenter le Dieu. L'image-monde est à la fois crainte et adorée, sacrée et profane.

Platon écrit dans le Ménon que dans la nature "tout est apparenté". Au sens strict, cela signifie que tous les objets réels et possibles qui composent la nature (comme tout perceptible) ont une essence commune, un 'quelque chose' qui les relie, en assure la ressemblance. Le statut problématique de l'image vient de la confusion, d'ailleurs, entre ressemblance et identité. L'homme est à l'image de Dieu. Il y a ressemblance mais pas identité entre eux.

Cette essence commune de la réalité "visible et tangible" dirait Platon, les philosophes grecs l'ont trouvée dans la notion de devenir. Le monde sensible est un flux phénoménal incessant si bien que, pour reprendre le fameux exemple proposé par Héraclite, "on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve" (Fragments).

Pour l'antiquité chrétienne, l'unité du monde physique, c'est la Chair, le Mal. L'attachement au monde devient alors un péché.

A partir de Descartes et surtout des Lumières, la nature est une étendue physique. La période des Temps Modernes, sa science au 18ème siècle, vont en effet s'emparer du concept de Matière pour exprimer l'essence commune aux objets de notre perception. C'est la matérialité du monde. Le matérialisme constitue l'essence commune, Une, de la nature du monde perceptible. C'est cette image-là qu'il s'agit pour les terroristes d'anéantir.

En effet, selon cette dernière perspective, la totalité du monde peut être réduite à la notion de matière (vision occidentale). Il est donc permis de dire qu'il y a ressemblance entre une poire et le roi Louis-Philippe par exemple :

 

Original 52678

(Daumier - 1831 - pour le journal Caricature) Allez voir et zoomez sur le texte, ça vaut vraiment le coup!

 

Voilà ce que la caricature révèle et défend : il existe un point de convergence entre toutes choses et c'est la matérialité. La caricature est ainsi une profanation en ceci qu'elle désacralise toute transcendance en rassemblant dans une même nature une poire et un monarque, un dessin du prophète et le prophète lui-même. La défense de Daumier, condamné pour avoir caricaturé le roi, consiste à montrer par le dessin, l'essence commune du fruit et du roi en tant qu'images et qu'ainsi, tout peut alors, de fait, être condamnable. Condamnable l'image elle-même, en soi!

Au fond, c'est la représentation elle-même, comme fonction cognitive, qui devient condamnable. Le roi, émanation de Dieu sur Terre, et a fortiori, Dieu lui-même, doivent être pensés hors représentation. On ne peut et ne doit s'en faire une représentation, une image. L'infinité de Dieu ne peut se circonscrire dans une vision mentale ou naturelle, extérieure. On est ici à la limite de ce qui est pensable et on pourrait se demander ce qui reste une fois, si cela est possible, que l'on a supprimé les images. 

Or, s'il s'agit seulement de dire qu'il y a ressemblance à certains égards, il ne s'agit nullement d'affirmer une identité du paraître et de l'être. Louis-Philippe n'est pas une poire et le prophète n'est pas contenu dans sa caricature!

Cette confusion est pourtant à la racine du terrorisme religieux aujourd'hui. Cette confusion qui s'annonce dans l'identification de l'être et du paraître est dénoncée par Debord dans La Société du spectacle déjà en 1967:

"La première phase de la domination de l'économie sur la vie sociale avait entraîné dans la définition de toute réalisation humaine une évidente dégradation de l'être en avoir. La phase présente de l'occupation totale de la vie sociale par les résultats accumulés de l'économie conduit à un glissement généralisé de l'avoir au paraître [...]".

Ce glissement de l'être à l'avoir, de l'avoir au paraître, et, par voie de conséquence, l'indentification de l'être et du paraître constitue l'essence du spectacle. En dernier lieu, il n'y a rien en dehors des images, rien en dehors du monde et ce dernier est spectaculaire, il est tout entier Image, seulement image.

Les terroristes ne sont que des produits du marché, eux-mêmes des images.

Allez dans la ZAC!

 

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