Le tout et les parties

 

L'actualité du monde me semble se résumer à dénier toute assignation de responsabilité à quiconque dans les malheurs qui s'y déroulent. La misère, la détresse des autres, ne sont de la responsabilité de personne. C'est l'errance du Mal. Des boat-people en Méditerranée, dans le Pacifique, errent. Les pays se les renvoient comme une balle. Ce n'est pas de leur responsabilité déclarent-ils. C'est la violence structurelle, violence du système! J'apprends toutefois ce jeudi que la Thaïlande se mobilise enfin...

Palmyre en Syrie est prise par DAECH aujourd'hui aussi. C'est un site classé par l'UNESCO au patrimoine mondial de l'humanité. Personne ne peut rien faire non plus...

Quel est le sens de ce laisser-faire, qui en bénéficie? Et justement,ceux-là ne sont-ils pas responsables?

 

Lange coca cola baby bottle mother and children tulelake siskiyou county california dorothea lange 1939

(Photo Dorothea Lange - USA - 1936 - Route pour la Californie, mère migrante avec bébé) - Notez le biberon de Cola qui souligne bien l'aliénation du Lumpenprolétariat!

 

En 1977, Roland Barthes, dans son discours d'investiture à la chaire de sémiologie (étude des signes) du collège de France, déplora l'aspect fascisant de la langue. Fasciste en ceci que cette dernière n'interdit pas de dire mais au contraire oblige à dire. Par exemple, elle m'impose de choisir entre le 'tu' et le 'vous' lorsque je m'adresse à autrui, d'opter pour la familiarité ou la distance.

Aussi sommes-nous comme prisonniers, ou mieux, esclaves de la langue comme structure syntaxique. Le rôle de la littérature et de l'art en général est de proposer des moyens d'expression transgressifs. Il s'agit, aurait dit Deleuze, de faire "bégayer la langue".

Faire foisonner la langue, produire des concepts et des distinctions conceptuelles (légal/légitime, semblable/identique...), promouvoir la profusion du vocabulaire, tout cela permet de combattre ce qui est asséné comme vrai, ce que les discours de toutes sortes tentent de nous faire accroire, nous imposent d'acquiescer.

Il existe, je crois, une telle distinction conceptuelle essentielle dans la Métaphysique d'Aristote. Celui-ci distingue deux 'touts' : to pan et to holé, le tout 'panique' et le tout 'holique'. Le premier est le 'tout' comme se limitant à la somme des parties. C'est celui qui vient immédiatement à l'esprit et dont il faut, précisément, ne pas se contenter. Le second est le 'tout' comme structure, 'tout' qui excède la somme des parties. Ce 'tout' est déjà toujours rassemblé, il est un ensemble avant d'être une addition. Il y a plus dans ce 'tout' que dans la somme de ses parties. C'est de celui-ci dont il faut de méfier et avoir peur!

C'est ce système holistique, ce 'tout' structurel qui est le monstre à combattre, le monstre du capitalisme, celui qui se dérobe toujours à toute prise, qui n'existe que par ce retrait justement. Ce monstre est un fantôme, le spectre du capitalisme qui empêche de lui assigner toute responsabilité dans la misère du monde qu'il génère pourtant. Cette misère est une violence structurelle dit-on. C'est cette supposée autorégulation, cet engrenage dont on ne sait plus très bien où il commence, où il finit, qui est la grande déresponsabilisation du capital. Cette supposée autonomie du système permet à ceux qui en jouissent de se déresponsabiliser de ses conséquences néfastes.

Des métayers sont chassés, par la banque qui en est propriétaire, des terres qu'ils cultivent. Voyez cet incroyable passage de Les raisins de la colère (1939) de Steinbeck :

- Nous sommes désolés. Ce n'est pas nous. C'est le monstre. Une banque n'est pas comme un homme.

- Oui, mais la banque n'est faite que d'hommes.

- Non, c'est là que vous faites erreur... complétement. La banque ce n'est pas la même chose que les hommes. Il se trouve que chaque homme dans une banque hait ce que la banque fait, et cependant la banque le fait. La banque est plus que les hommes, je vous le dis. C'est le monstre. C'est les hommes qui l'ont créé, mais ils sont incapables de le diriger.

Les paysans déplorent alors de ne pouvoir tuer la banque comme leurs parents tuaient les serpents dans les champs. Il cherchent un ennemi à combattre mais ce dernier se retire, c'est le spectre du capitalisme!

Je ne crois pas à ce tout holique. Le tout n'est que panique quand il s'agit des hommes. Je ne crois pas que la banque soit bien plus que les hommes qui la compose. Chacun de nous est responsable de la situation dans laquelle il s'engage et se doit d'agir en fonction. Les nazis ont déclaré ne pouvoir qu'obéir aux ordres durant les procès de Nuremberg...

Il est grand temps de réassigner les responsabilités et de traduire en justice tous ceux qui génèrent de la misère humaine, culturelle, écologique.

C'est à nous d'exiger des responsables et surtout à nous d'évaluer à quel point nous le sommes aussi.

Je vois que des banques sont condamnées et paient des amendes!

La panique qui vient...

Commentaires (1)

1. Cyrille 21/05/2015

Tu me régale Nico, vivement mercredi prochain!

Ajouter un commentaire
 

Créer un site internet avec e-monsite - Signaler un contenu illicite sur ce site

×