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Un chien, une sauterelle...

 

Dans ses Rêveries du promeneur solitaire, Rousseau raconte son réveil (deuxième promenade) après avoir été percuté par un molosse et assommé par une chute sur la tête :

- "La nuit s'avançait. J'aperçu le ciel, quelques étoiles, et un peu de verdure. Cette première sensation fut un moment délicieux. Je ne me sentais encore que par là. Je naissais dans cet instant à la vie, et il me semblait que je remplissais de ma légère existence tous les objets que j'apercevais. Tout entier au moment présent je ne me souvenais de rien ; je n'avais nulle notion distincte de mon individu, pas la moindre idée de ce qui venait de m'arriver ; je ne savais ni qui j'étais ni où j'étais ; je ne sentais ni mal ni crainte ni inquiétude. Je voyais couler mon sang comme j'aurais vu couler un ruisseau, sans songer seulement que ce sang m'appartînt en aucune sorte."

Ce texte me permet d'introduire une nouvelle distinction conceptuelle, je crois, libératrice du fascisme de la langue (voir Le tout et les parties). Il s'agit de distinguer l'Ego et le Moi.

L'Ego est un flux phénoménal impersonnel, une conscience si l'on veut, non encore individualisée, non consciente d'elle-même. Contrairement, le Moi est personnel, individualisé et psychologique. Il est celui de tel ou tel individu, de Pierre ou de Jean-Jacques.

L'Ego est cartésien, pure pensée, une sorte de conscience comme éveil au monde, mieux, éveil du Monde. Co-naissance du Monde et de l'Ego qui permet d'éviter le double écueil de l'Idéalisme d'une part et du Matérialisme de l'autre. Le premier privilégie la pensée comme surplombant un monde qu'elle constitue, le second considère la pensée comme un muscle, le cerveau sans questionner le présupposé suivant qui est que le cerveau, précisément, est toujours déjà objet pour la pensée, objet d'étude, et ne la précède pas. Ce rapport n'est pas questionné et est placé sous le signe de l'évidence. Pourtant, il se donne ce qui est en question, erreur logique par excellence!

C'est le cerveau qui est dans la pensée et non pas la pensée dans le cerveau. Les conséquences d'une telle thèse sont considérables et infinies.

L'Ego s'apparente à de la pensée sans cerveau (individuel). L'Ego est cosmique (allez-y, chambrez!), un flux continuel de pensée indifférenciée, on ne peut en dire plus.

L'Ego se trouve dans le rêve, la transe, le dionysiaque, c'est de la spontanéité pulsionnelle qu'il relève, c'est de l'art. Le Moi, par contre, c'est la quotidienneté. Il n'est rien, c'est nos petites vies, cette sale "habitude de dire Je".

En ce sens, le rôle de l'art est à mon avis de briser cette habitude, de l'inquiéter, de la mettre en danger, de mettre le Monde en danger. Se découvre alors l'Ego, nu, impersonnel, de la pensée sans 'Je'. Il reste comme un flux phénoménal, perceptif, non relié à un quelconque Moi psychologique, une personnalité si l'on veut.

L'art rompt la chaîne signifiante mondaine, les significations habituelles, le fascisme du langage (des mots et des images aussi) qui nous oblige à penser de telle ou telle manière, à être-au-monde, à percevoir le Monde de façon déterminée en oubliant d'en questionner la pertinence. Comme si c'était comme ça et puis c'est tout. Mais non, résistons à l'évidence!

Il n'y a rien. Juste la beauté d'un Monde commun en éternelle reconstruction.

"Il malaxa ses joues un moment puis il cracha par terre, et le crachat roula sur lui-même et s'agglutina à la poussière jusqu'à ressembler à une boulette de terre séchée". (Steinbeck - Les raisins de la colère)

"Une sauterelle entra par la fenêtre et se posa sur le tableau de bord où elle se gratta les ailes avec ses longues pattes anguleuses. Joad avança la main et lui écrasa sa petite tête dure semblable à une tête de mort". (Ibid.)

Vomir.

Allez ajouter vos mondes dans la ZAC!

 

 

 

 

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