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Le Chaos retrouvé

 

Trois adolescents viennent de mourir lors d'une explosion alors qu'ils fabriquaient des grenades fumigènes pour une activité, l'Airsoft, en plein essor dans nos sociétés occidentales. L'Airsoft est du Paintball amélioré si l'on veut ; on joue à la guerre en essayant de s'en approcher au plus près, de combattre réellement : uniformes, team, armes factices... Seule la cause finale, la mort de l'autre, n'est pas réelle (en théorie!) mais reste symbolique et imaginée. Les ressorts psychologiques, les motivations, sont similaires à un engagement guerrier réel mais les conséquences de cette quasi-guerre ne sont pas létales.

 

Airsoft 1

(B.A.T : Bordeaux Airsoft Team!)

 

Le procureur en charge de l'affaire a déclaré que les victimes de cet accident donc, se livraient à "un jeu imbécile conseillé par des irresponsables".

Cela revient à nous demander pourquoi et comment une telle identification de la guerre et du jeu (chez des adultes) est possible et quelles en sont les causes existentielles et psychologiques.

Besoin de divertissement (oubli de soi), de jouer, de faire la fête, besoin de vacances?

Voyons cela de plus près :

Pour Roger Caillois, fondateur du 'Collège de Sociologie' en 1938 avec Leiris et Bataille, et contrairement à ce qui paraît aller de soi, les vacances et la fête ne vont pas de pair mais s'opposent. Dans L'homme et le sacré (1939), d'une manière tout à fait subtile et surprenante, Caillois va rapprocher, à première vue, paradoxalement, la fête et la guerre. En effet, alors que les vacances marquent un temps mort dans le rythme de l'activité générale, rendent l'individu à lui-même, la fête le ravit à lui-même, l'arrache à l'intime pour le jeter dans le tourbillon, la multitude frénétique et le rend à sa spontanéité pulsionnelle. Les fêtes antiques, Bacchanales (adoration de Bacchus, de l'ivresse sacrée et du vin) et autres Carnavals, effaçaient les frontières de l'individu, du moi socio-culturel si l'on veut. La fête représente la dissolution du moi. Chaque individu est ravi à sa profession, son foyer, ses habitudes, sa langue même...

 

Bacchanales nicolas poussin

(Nicolas Poussin, Bacchanales devant une statue de Pan)

 

Il en est de même pour la guerre. La fête et la guerre dissolvent le Moi. Ne subsiste que l'Ego (voir Un chien, une sauterelle), sphère perceptive d'un flux phénoménal indifférencié, impersonnel, asubjectif. Le coeur de la fête fait choeur et fait 'front', comme en guerre. C'est l'Un originaire retrouvé.

Fête et guerre inaugurent donc une période de forte socialisation, de mise en commun intégrale (unité des esprits ou consciences), des ressources, des forces. Effervescence collective, excès, parfois violence et destruction réelles ou symboliques, autant de pratiques communes à l'une comme à l'autre. On observe dans les fêtes des sociétés primitives, l'irrespect de la règle, la dilapidation des ressources, etc... Des préparations qui ont parfois nécessité des jours, des mois de travail (pensez au cachiri en pays indien par exemple) sont dilapidées en quelques heures. Sacrilège (dieu), ressources (propriété), outrage (moeurs), transgressions (loi), gaspillage (économie), la fête, dans ses excès, anéantit l'organisation structurelle de la Cité. L'organisation sociale est néantisée, renvoyée au néant par l'artifice de la fête (=guerre). La fête est en effet un artifice car l'épuisement de soi, une de ses propriétés essentielles, est cause de son aspect éphémère. La fête est toujours un évènement, elle ne peut s'installer durablement.

Le néant n'est jamais premier, la fête et la guerre néantisent un donné structuré. Le néant est par essence second comme négation. Comme l'écrit Bergson, il y a plus dans l'idée de néant que dans celle de 'quelque chose' car penser le néant revient à penser la négation, précisément, de ce 'quelque chose' même.

La fête est un Chaos retrouvé et façonné à nouveau car de ses excès, la société attend sa régénération, comme une vigueur nouvelle issue de l'épuisement festif. La guerre est aussi, évidemment, un anéantissement qui renvoie symétriquement chacun à son amour, son attachement pour la vie et son prochain. La guerre est une 'fête noire', une apothéose à rebours.

Avec une extrême finesse argumentative, Caillois montre comment la guerre s'est substituée à la fête dans nos sociétés modernes. Alors que dans les sociétés primitives la fête interrompt les hostilités qui manquent d'ampleur et de relief (de même dans le monde hellénique les Jeux Olympiques cessent les hostilités, les peuples communient), dans les sociétés modernes, c'est tout le contraire, la guerre interrompt les compétitions, expositions internationnales, etc... La guerre ferme les frontières que les fêtes ouvraient. De plus, la perspective d'une 'fête totale' comme guerre atomique n'est pas inenvisageable aujourd'hui.

Un tel besoin de guerre n'est-il pas le signe d'une absence de fêtes, de communion dans nos sociétés modernes? Les fêtes ne sont plus que des dates du calendrier (simples jours chômés en fait) durant lesquelles chacun vaque à ses occupations personnelles. Quand y-a-t-il eu récemment une union nationale si ce n'est le 11 janvier dernier, consécutivement aux attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper-Cacher (et encore, cette dernière est remise en doute)? Un rassemblement de type festif suivait cet acte de guerre du 7 janvier, une purification avant reconstruction à partir de ces tristes cendres...

Une catharsis, pour reprendre le terme aristotélicien, un oubli du Moi, une purification, un retour à l'Ego face au spectacle de la mort (des hommes et de notre Constitution), dans l'espoir d'une refondation républicaine, d'un accord minimal et laïque, un contrat social, rousseauiste, contracté entre les citoyens désirant 'faire peuple'.

 

Place Nation Paris

(Place Nation - Paris- 11/01/2015)

 

Mais ce ne fut qu'un feu de paille! Contrairement, nous l'avons dit, aux sociétés primitives et antiques dans lesquelles la guerre est l'exception et la fête structurelle (jalonnant le calendrier annuel), nos sociétés modernes font de la fête l'exception et de la guerre notre condition. La guerre est notre quotidien, c'est la 'banalité du mal' (H. Arendt), la guerre perpétuelle de l'Empire évoquée par Toni Negri dans Multitude. Nous sommes dans une guerre perpétuelle qu'il s'agit de combattre. La fête, par le type d'anéantissement qu'elle propose, permet une refondation, une reconstruction de ce que la guerre, de façon symétrique, a détruit.

Il subsiste, en effet, une différence entre guerre et fête malgré leurs ressemblances. La fête vise l'anéantissement de Soi (du Moi psycho-social), de son rapport aux structures sociales (rapport réparable), mais jamais celui de l'Autre, irréparable.

Faites la fête pas la guerre!

Et allez dans la ZAC!

Commentaires (1)

1. Cyrille 18/06/2015

Très bon cet article Nico. C'est très anarchiste, cette idée de s'abandonner dans la fête et tu t'y connais!!

ps: je suis pas au point pour publier ce soir.

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