Les Marchands du Temple

 

Jesus chasse les marchands du temple

 

Que peut nous apporter, dans une perspective athée, hormis un week-end prolongé bien profitable, la fête de Pâques?

Cette fête commémore pour les chrétiens ce que l'on appelle "La passion du Christ", le cheminement vers son inéxorable destin qui s'achève avec sa crucifixion. En plus de s'annoncer comme le fils de Dieu, ce qui est éminemment blasphématoire pour cette époque (et d'autres), Jésus venait de chasser les marchands du temple. Les puissants, et non la totalité du peuple juif (qui va en souffrir durant toute son histoire), vont évidemment s'arranger pour le faire condamner à mort par Ponce Pilate.

Je prends ce texte pour ce qu'il est : un récit du 1er siècle de notre ère, tiré d'un évangile du Nouveau Testament. Il raconte comment Jésus va violemment chasser les marchands du temple. Il leur reproche de pratiquer le commerce dans sa "Maison". Jésus inaugure ici une critique de la richesse, mieux, des moyens d'y parvenir.

Toutefois, cette critique n'est pas inouïe en elle-même mais je crois qu'elle apporte tout de même quelque chose de neuf.

Voyons cela de plus près :

Comme je viens de le dire, la critique de la richesse et des puissants n'est pas chose nouvelle à cette époque et les philosophes grecs s'y sont déjà illustrés. Aristote lui-même effectue une critique de ce qu'il appelle la chrématistique ou l'accumulation, la confiscation de la richesse sans réinvestissement ou redistribution, dans la seule optique de sa privatisation.

On a l'habitude de dire que le texte biblique est à la croisée de la pensée grecque et de la pensée juive, opérant une synthèse de l'Esprit de ce temps au moins en tout cas sur les bords de la Méditérranée. Eh oui, Mare Nostrum !

A ce titre d'ailleurs, Nietzsche qualifie le christianisme de"platonisme pour le peuple".

Ce qui est nouveau à mon avis, c'est l'illustration narrative d'une pensée philosophique : c'est la fameuse Parabole.

Jésus, donc, chasse les marchands. Il faut comprendre que le commerce, par essence, représente le péché. Le vendeur tente de monter les prix au maximum et l'acheteur de les réduire au minimum. Cette relation même est impure. Le commerce, en effet, réunit tous les péchés capitaux dans sa pratique comme dans ses conséquences : l'envie, l'avarice, l'orgueil, la gourmandise, la colère, la paresse et la luxure. La relation ainsi instaurée est viciée, pervertie dès l'origine de la tractation commerciale.

Jésus ne veut pas de ce contrat relationnel entre les hommes dans sa Maison. Je crois que cette Maison, c'est le Monde symbolisé. Le monde des hommes perverti par le capital.

Je considère le récit biblique de la même façon que l'Iliade ou l'Odyssée de Homère par exemple. Un grand texte. Un récit qui rassemble des siècles de sagesse, de méditation sur la société des hommes et je lis cette parabole comme une critique du capitalisme qui néantise les rapports de confiance entre hommes, instaurant comme médiation entre eux l'unique valeur-argent.

Alors que précisément, Jésus prêche l'abandon, la confiance (et de ce fait une certaine pauvreté), la valeur-argent insinue la méfiance.

Certes, la méfiance ne dépend pas exclusivement de la monnaie mais je crois que cette dernière la concrétise, l'inscrit dans le réel en ceci qu'elle est capitalisable et ostensible. Ostensible car la richesse ne vaut que reconnue. La satisfaction qu'elle induit provient de la reconnaissance qu'elle suscite. Paul Veyne, historien spécialiste de l'empire romain, nomme évergétisme, le mécénat assumé par les puissants qui font construire des édifices publics, organisent des jeux du cirque, etc... Il faut dépenser pour être reconnu comme un homme riche et respectable. Respectable en ceci qu'une partie de la richesse est redistribuée à des fins publiques. C'est aussi une manière de se protéger en cas de révolte ou de retournement de situation quelconque. Alain Testard, préhistorien, interprète de la même façon l'érection de menhirs au néolithique par exemple. Mais il s'agit aussi d'occuper le terrain car il n'existe pas encore de propriété fonciaire. La terre appartient à celui qui l'occupe et la travaille (aspect latifundiaire de la propriété).

Testard montre aussi très bien que les origines du système capitaliste et de la guerre (son corollaire) sont à rechercher dans l'invention de la métallurgie, l'usage des métaux, matière non périssable. Au préalable, en effet, les richesses (gibier, récolte, vêtements, ornements...) sont immédiatement consommables ou périssables, non cumulables ou aisément reproductibles (ce qui interdit leur rareté).

En permettant à la richesse de s'étendre dans le temps, le métal (ou son minerai) concrétise cette dernière en l'installant dans la durée. Dans le même mouvement, elle installe aussi la méfiance vis-à-vis de l'Autre en général.

Or Hegel l'a bien montré dans sa Phénoménologie de l'Esprit, la propriété, nous l'avons vu plus haut, ne vaut pas en tant qu'elle-même, elle n'a pas de valeur en soi. La propriété (comme accumulation ostensible de richesses) ne vaut, répétons-le, qu'en raison de la reconnaissance qu'elle procure. Il s'agit d'être reconnu comme un homme libre, capable de s'opposer au donné naturel et d'imposer sa volonté aux autres par la possession de richesses, d'une propriété qui est comme la concrétisation, la matérialisation de la volonté.

C'est donc à ces concepts hégéliens de satisfaction par reconnaissance qu'il faut s'attaquer. Le Christ ne règle d'ailleurs rien dans la durée en s'attaquant à la monnaie elle-même et dans un accès de violence, dans l'instant. Le capitalisme galope encore. Il faut inscrire ce geste dans le temps et c'est une conversion du rapport à l'autre qu'il faut opérer. Toutefois, cette conversion ne se fera pas comme par magie et par pur altruisme. Il faudra un petit coup de pouce de la loi.

Si la foi est du domaine privé, la loi au contraire circonscrit le domaine public. La loi qui précisément doit empêcher la confiscation des richesses d'une part et faire respecter notre Maison d'autre part, la nature, en la protégeant des ravages de la mécanisation, de l'industrialisation du monde.

L'objectif de la loi, écrit Aristote encore, est de mettre en oeuvre les moyens de préserver l'amitié entre les hommes, amitié comme réciprocité d'un rapport de confiance. La confiance et pas la méfiance!

Ayez confiance, ah ah!

Marchands du temple

 

Commentaires (1)

1. Cyrille 09/04/2015

Complètement d'accord!

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